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Gatovert contre Zorglub
20 janvier 2008

A la bonne fortune du pot-au-feu

in Le monde

      Le pot-au-feu est un plat qui se confond avec le bien-manger de la nation. Il a même valeur de symbole depuis sa consécration par le représentant du tiers état, ci-devant comte de Mirabeau : "Le pot-au-feu est la base de l'Empire..."

      Ce nom ne sera retenu en cuisine que pour désigner une garniture "à la Mirabeau", composée de filets d'anchois disposés en croisillons, d'olives dénoyautées, de feuilles d'estragon et de beurre d'anchois destinée à accompagner les viandes grillées.

      Comme son nom l'indique, le pot-au-feu est cuit dans un "pot", nom ancien synonyme de marmite : "Il faut mettre le pot au feu dès le matin", dit Furetière en 1691. A cette époque, on distingue les cuissons sèches (rôtis) et les cuissons humides, le bouilli, les ragoûts et sautés. Pot-bouille, jusqu'à Zola, désigne un ustensile ordinaire de cuisine.

     Le bouilli et le rôti sont-ils purs fantasmes d'anthropologues ? Certes non ; la distinction s'opère, aujourd'hui encore, entre le cadre dynamique amateur de viande rouge et le "bobo" qui fait le succès du pot-au-feu, des plats mitonnés et de la soupe d'épeautre, ainsi que des différentes potées, du hochepot - ragoût de viandes et de légumes écrasés -, des potages ou de la poule au pot.

     Ces plats ont en commun ce "pot" originel, d'abord suspendu à la crémaillère dans l'âtre, puis posé sur le coin du fourneau.

      Une marmite où l'on a jeté, comme pour un exorcisme, des morceaux de viande et d'os que l'on écume, puis l'oignon piqué d'un clou de girofle et le bouquet garni.

      Alors intervient la cuisson, où bouillon, viandes et légumes vont s'imprégner de leurs essences respectives, ainsi que du thym et du laurier. Car le pot-au-feu ne saurait se passer du bouquet garni.

      Il nécessite plusieurs sortes de viandes : des morceaux semi-gras comme le plat de côtes ou, mieux, le plat de côtes découvert ; des morceaux maigres et gélatineux, dont les plus appréciables sont le gîte, qui est une découpe du jarret (et non le gîte à la noix), la macreuse, située dans l'épaule, ainsi qu'un morceau voisin du jumeau (paleron). On peut aussi adjoindre joue et queue de bœuf, voire la rate du même, pour colorer le bouillon ; mais, après trois heures de cuisson, elle sera donnée au chat.

      Extraction des saveurs

     Faut-il mettre les viandes à cuire à l'eau froide ou à l'eau bouillante ? La question est des plus sérieuses. Si on veut obtenir un bon bouillon, il faut commencer la cuisson à l'eau froide ; mais les viandes risquent d'être fades, car la cuisson se fait par extraction de saveurs. C'est ce phénomène de la théorie des arômes que Brillat-Savarin appelle l'osmazôme. Au contraire, le démarrage à chaud va développer la sapidité des viandes, car c'est une cuisson par concentration de saveurs.

      Certaines ménagères mettent les viandes à cuire dans l'eau bouillante, où elles ont délayé trois ou quatre morceaux d'extraits concentrés de bouillon de bœuf. La viande sera goûteuse, et le bouillon, une fois dégraissé, particulièrement corsé. En cuisine, on opte parfois pour un compromis : démarrer à froid la cuisson des viandes goûteuses (jarret), qui finiront dans un hachis Parmentier ; après deux heures de cuisson, les remplacer par les morceaux plus fins, qui iront jusque dans l'assiette.

      C'est une technique voisine, encore que très sophistiquée, qu'emploie Bobosse, le truculent patron de l'un des derniers authentiques bistrots parisiens à l'enseigne du Quincy.

      Il nous a confié sa méthode : démarrer à froid la cuisson des viandes, écumer, ajouter les légumes (carottes, navets et poireaux) ; aux deux tiers de la cuisson retirer les légumes, dégraisser le bouillon, détailler les viandes et les placer dans une vessie avec des petits légumes tournés et le bouillon maigre ; obturer la vessie et mettre à pocher doucement encore une heure environ.

     La technique imparable du pot-au-feu en deux cuissons, appelé pot-au-feu en vessie, possède en outre l'avantage de concentrer un peu plus encore l'"âme des viandes", le fameux osmazôme de Brillat-Savarin. Cette cuisson est incomparable.

      De la vessie, ouverte à même une assiette creuse, jaillissent le bouillon parfumé, puis la viande et la garniture, dans une parfaite harmonie aromatique.

      Le souvenir, certes, des extravagances du pot-au-feu de Dodin Bouffant hante toujours nos mémoires gustatives, mais Marcel Rouff n'inspire plus depuis longtemps nos cuisiniers, qui ont un œil sur la diététique, un autre sur le balsamique ou le soja.

      C'est un plat qui nécessite quelques condiments : le gros sel pour assaisonner la moelle, les cornichons, la moutarde, le raifort... Avant le service des viandes, on aura proposé le bouillon, parfaitement dégraissé, dans un bol ou une assiette ; s'il en reste, on le réchauffera avec quelques vermicelles. Le surplus de viandes fera une excellente salade de bœuf et une farce de choix pour les tomates, courgettes, aubergines farcies et autres hachis Parmentier. C'est la fortune du pot, une cuisine pour un dimanche d'hiver, un hommage à nos grands-mères !

      Jean-Claude Ribaut

      Le Quincy, 28, avenue Ledru-Rollin. 75012 Paris. Tél. : 01-46-28-46-76.

      Fermé samedi, dimanche, lundi.

     La recette

      Verser 4 litres d’eau froide dans un faitout, y placer 800 g de plates côtes couvertes destinées à assurer la saveur du bouillon (démarrage à froid) ; porter lentement à ébullition, écumer et laisser cuire une heure. Éplucher un oignon et le piquer de plusieurs clous de girofle, écraser 4 gousses d’ail pelées et placer dans le faitout au bouillon frémissant, avec un bouquet garni (thym, laurier, persil, céleri), une dizaine de grains de poivre et une cuillère à soupe de gros sel, ainsi que les viandes (plates côtes découvertes, macreuse, gite-gite, jumeau). Seules ces dernières seront servies ; le morceau de plates côtes découvertes sera réservé pour un bon usage ultérieur (farce) avec les restes éventuels. Porter de nouveau à ébullition, écumer, puis baisser la source de chaleur et faire mijoter deux heures. Préparer six carottes, six navets, des poireaux, panais (facultatif) et les mettre à cuire, à nouveau pendant une heure, doucement. Vingt minutes avant l’achèvement de la cuisson, pocher dans une mousseline quelques os à moelle dans une eau salée bouillante. Égoutter les viandes et les légumes ; dégraisser et passer le bouillon dans une soupière. Servir à part le bouillon, avec des tranches de pain grillé pour la moelle ; servir les viandes avec le gros sel, cornichons, moutarde, puis les légumes.

La base du pot au feu est : plates côtes-carottes-poireaux. Après cela dépend du marché, des traditions familiales et de l'usage (bouillon...). La recette familliale se bientôt mise en ligne et vous pourrez commenter. c'est simple, pas cher et cela rechauffe pour l'hivers.

Le pot au feu peut se faire réchauffer sans problème, mais les restes peuvent être à l'origine de nombreux plats délicieux eux-aussi (et ce n'est pas la sa moindre qualité) : le boeuf mironton, le boeuf sauté frites, le boeuf à la vinaigrette, recettes qui viendront à leurs heures complétées ce blog.

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